LE CALENDRIER EGYPTIEN

L'égypte, si célèbre surtout depuis le siècle dernier qui découvrit et étudia ses monuments, ne comprit d'abord que le territoire environnant les bouches ou delta du Nil et la vallée de ce fleuve. Cette ancienne égypte est le pays mystérieux des Pharaons, des hiéroglyphes, des papyrus, des pyramides, des sphinx et des obélisques.
Bien que très ancien, ce peuple emprunta néanmoins son calendrier, au moins dans sa forme primitive, aux Babyloniens, encore plus anciens et mieux placés pour faire les observations dans leur ciel plus clair.
Les Babyloniens possédaient quelque chose qui leur assura l'avantage en astronomie sur les égyptiens: outre l'ancienneté, ils avaient le privilège d'un ciel clair et transparent comme un cristal, tandis que l'atmosphère de l'Egypte est presque toujours obscurcie par cette brume plus ou moins épaisse qu'on rencontre dans ces pays bas.
Comme leur calendrier remontait à une très haute antiquité, puisqu'on le trouve dans les temps les plus anciens auxquels leurs annales se rapportent, les prêtres égyptiens en attribuaient l'invention à Hermès, auquel était d'ailleurs attribuée toute connaissance trop ancienne pour qu'on en connut l'auteur.

Mais bien que le calendrier égyptien soit venu, au moins en partie et à l'origine, de la Chaldée, les égyptiens le marquèrent ensuite de leur génie propre et d'après les circonstances de leur pays.
Ce fut dans les sanctuaires que les collèges sacerdotaux le perfectionnèrent peu à peu. Ces prêtres étaient aussi astronomes et les plates-formes des temples leur servaient d'observatoires.
On trouve des traces en égypte du calendrier primitif qui a existé, autant du moins qu'on peut le savoir, chez tous les peuples anciens, pendant un laps de temps plus ou moins long et qui a consisté à compter le temps par lunaisons.
En égypte, la première forme d'année dans le sens de tour, de cycle, aurait été le mois lunaire.
A cette période succéda vite celle de deux mois. A cause de la durée de la lunaison qui est de 29 jours 1/2 environ, ils firent les mois alternativement de 29 et de 30 jours, et dès lors, associèrent ensemble deux lunaisons consécutives.

Mais cette manière de supputer le temps était incompatible, surtout chez un peuple agriculteur, avec l'habitude de retours fixes, dont le principal était l'inondation du Nil et qui ne pouvait se calculer par un nombre entier de lunaisons.
La crue du Nil eut une grande influence sur le perfectionnement du calendrier égyptien, en ce qu'elle poussa à la détermination et à la notation d'une année fixe.
On admet comme vraisemblable que le mois, puis le double mois lunaire, furent assez vite remplacés par trois saisons de quatre mois chacune, auxquelles on donna, comme aux lunaisons, le nom d'année. (I)
" On pense qu'alors aussi ils firent leurs mois tous de 30 jours, ce qui donna une année de 360 jours, dont il n'est guère possible de douter qu'ils se servirent à une époque très reculée qu'on ne saurait déterminer avec exactitude." (2)
Les Chaldéens aussi, en passant des lunaisons à l'année solaire, avaient d'abord divisé l'année en 360 jours, comme ils divisaient le cercle en 360 degrés.
Or, une année de 360 jours est trop courte.

Observateurs comme ils l'étaient, les égyptiens ne purent tarder à s'en apercevoir. En 5 ans 1/2, elle rétrograde d'un mois entier sur le cours du soleil, et de toute une année en moins de 69 ans. Comme le cycle de leurs douze mois était déjà formé, ils se contentèrent d'ajouter, après le dernier, les cinq jours qui leur parurent nécessaires pour compléter la durée de l'année. Ce furent les cinq jours épagomènes ou complémentaires.
Pendant un certain temps, ils purent croire cette année de 365 jours enfin exacte, et y attachèrent leurs fêtes religieuses. Lorsque plus tard ils s'aperçurent qu'elle était encore trop courte, ils renoncèrent à introduire de nouveaux changements. Il n'est plus si facile de modifier les habitudes d'un peuple lorsqu'elles ont reçu le cachet de la religion.

La durée de l'année étant de 365 jours 1/4 environ, les quarts de jour s'ajoutant chaque année les uns aux autres, il résultait qu'après quatre ans l'année civile était en retard d'un jour entier sur l'année solaire, de deux jours en huit ans, etc., etc. On laissa rétrograder cette année imparfaite sur l'année solaire et on se contenta de légitimer extérieurement le changement continuel des dates des fêtes en disant qu'il était mieux que celles-ci fussent célébrées tour à tour à chacun des 365 jours de l'année qu'elles sanctifiaient ainsi successivement. On obligea même les rois égyptiens, en montant sur le trône, à venir dans le temple d'Isis jurer de maintenir la forme de l'année telle qu'elle avait été établie par les anciens.
Cette année fut appelée l'année vague.
Les Babyloniens, tout en ne se servant, dans l'usage pratique, que de l'année luni-solaire, connurent cependant l'année solaire de 365 jours 1/4 dont ils firent usage dans leurs calculs astronomiques. On ignore si les Babyloniens découvrirent avant les égyptiens I'année de 365 jours I/4; en tout cas ce furent les égyptiens qui introduisirent les premiers dans l'usage pratique l'année solaire de 365 jours. Mais ils ne réussirent pas à perfectionner leur calendrier par l'intercalation d'un jour en plus tous les quatre ans.

Cependant Sosigènes, astronome égyptien, fera connaître cette notion plus exacte à Jules César qui s'en servira pour la réforme du calendrier romain, et le calendrier perfectionné reviendra ensuite de Rome en égypte.
Nous assistons ainsi à l'élaboration du calendrier par les Chaldéens, à son perfectionnement par les égyptiens, puis plus tard par Jules César qui en fera bénéficier tout l'empire romain.

Pour en revenir à l'année égyptienne de 365 jours, le retard d'un quart de jour chaque année produisait un mois en 120 ans, un an en 365 X 4 = 1460 années juliennes ou 1461 années égyptiennes.
Après ce temps, l'année vague recommençait d'accord avec l'année solaire.
Cette période de 1461 ans fut appelée période caniculaire ou cycle sothiaque, du nom de Sothis, nom grec du Sopt égyptien, qui est l'étoile Sirius, la plus brillante de la constellation du Grand Chien.
Cette étoile a joué, avec l'inondation du Nil, un grand rôle dans l'établissement du calendrier égyptien et du cycle sothiaque. Son lever héliaque (3),qui annonçait l'époque de la crue du Nil, fut observé avec soin comme un événement très important, devint le commencement de l'année civile et fut célébré comme une fête très solennelle.

Celle-ci était fixée au 1er thot, qu'on croit correspondre à notre 19 juillet.
Lorsque cette date approchait, les habitants montaient sur les toits des maisons pour tâcher de découvrir l'astre attendu.
Ce fut donc l'observation du lever ,héliaque de Sirius (4), le retour périodique des inondations du Nil et des saisons agricoles qui fournit la notion exacte de l'année fixe, et par comparaison, l'inexactitude de l'année de 365 jours.
Les prêtres de Thèbes, très versés, au dire de Strabon, dans l'astronomie, n'ignoraient pas que la durée exacte de l'année solaire était de 365 jours 1/4.
Ces prêtres, ainsi que ceux d'Héliopolis, tenaient compte de ce quart de jour en excédent et en formaient un jour entier qu'ils ajoutaient chaque quatrième année, sans qu'on sache exactement où se plaçait ce jour intercalaire. Ce furent à peu près les seuls à agir ainsi.

Dans tout le reste de l'Egypte, après la découverte de l'année fixe, on refusa d'abord d'abollir l'année vague. Il y eut néanmoins des tentatives faites dans ce but.
Une des plus sérieuses fut celle connue sous le nom de décret de Canope.
En 238 avant Jésus-Christ, les chefs de l'ordre sacerdotal se réunirent dans le sanctuaire des dieux évergète, à Canope, où ils décrétèrent la réforme de l'ancien calendrier, dans le but de faire coïncider la fête de Sothis avec le jour réel du lever de cette étoile.

C'était abolir du même coup l'année vague et adopter une année plus fixe. A cette fin, on devait, tous les quatre ans, ajouter un sixième jour épagomène. Mais leur décision resta lettre morte, et l'année vague demeura en usage.
On voit par là une fois de plus cornbien les coutumes pratiques sont lentes à se perfectionner.
Bien que lentement, le progrès fait cependant son chemin. Après la conquête romaine, Auguste ordonna que l'année vague cesserait en Egypte et qu'il n'y aurait plus que l'année fixe composée de 365 jours auxquels on ajouterait, chaque quatrième année, un 366è jour supplémentaire, comme dans le calendrier julien, ce qui porterait à six le nombre des jours complémentaires.
Encore cette réforme ne fut-elle généralement mise en pratique que vers le IIIe siècle de notre ère. A partir de cette époque, l'année, en Egypte, qui auparavant débutait à l'équinoxe de printemps, commença le le 29 ou 30 août, selon que l'année précédente était de 365 ou 366 jours.

Voici les noms des douze mois égyptiens :

Saison d'inondation :
I. Thot
2. Phaophi
3. Athyr
4. Choïak
Saison de végétation :
5. Tybi
6. Méchir
7. Phaménoth
8. Pharmuthi
Saison de récolte :
9. Pachon
10. Payni
11. Eplphi
12. Mésori
+ 5 jours épagomènes.

Les douze mois étaient répartis en trois tétraméries ou saisons de quatre mois.
Les quatre mois de chaque saison furent d'abord désignés par des chiffres : 1, 2, 3 et 4.
On donna ensuite à tous les mois un numéro d'ordre de 1 à 12.
Puis ils furent consacrés à des divinités dont ils prirent les noms.
Le calendrier égyptien était en outre chargé d'un grand nombre de fêtes.
D'après une découverte faite dans le temple d'Amon, à Médinet-Abu, les 1er, 2, 4, 6, 8, 15, 29 et 30 de chaque mois étaient, au temps de Ramsès III, des jours fêtés.
Voici quelques-unes des fêtes égyptiennes au XIlIè siècle avant notre ère :

Mois de Thot :
1er. Lever de Sothis, fête très solennelle,
8. Fête de Uaga.
19. Fête de Thot (Mercure).
22. Fête de la grande manifestation d'Osiris.
Mois de Paophi :
19-23. Les cinq premiers jours de la fête d'Amon-Apis.

Mois de Athir :
12. Fin de la fête d'Apis.

Mois de Choiak :
21. Ouverture de la tombe d'Osiris.

Mois de Tybi :
1er. Fête du couronnement d'Horus.

Habitants d'un pays fertile, les égyptiens pratiquèrent l'agriculture et connurent de bonne heure la géométrie, rendue nécessaire pour pouvoir, après l'inondation du Nil, reconstituer l'étendue des terrains appartenant à chacun.
Un détail à remarquer est qu'ils se servirent de la numération décimale, et non duodécimale, comme les Chaldéens. D'après ce système décimal, les jours de l'année étaient distribués en 36 dizaines présidées chacune par un astre appelé décan. En vertu de cette distribution, les mois, ayant 30 jours, étaient divisés en trois décades (5).

Aussi les égyptiens ne se servirent de la semaine, ou tout au moins de périodes divisionnaires du mois tirées des phases de la lune et ayant par conséquent la même origine que les semaines de sept jours, qu'à une époque très reculée, antérieure à leur usage de diviser le mois en trois décades. (6) De bonne heure également, les égyptiens distinguèrent, comme les Chaldéens, les astres mobiles ou planètes, des étoiles fixes, et s'ils ne donnèrent pas leurs noms aux jours, puisqu'ils ne se servirent pas ou très peu de la semaine, ils les connaissaient néanmoins parfaitement.

Ils mirent à leur tête, à cause de son éclat, " Hor, le guide des espaces mystérieux ", notre Jupiter, puis Mars, que sa couleur rougeâtre fit appeler le "Hor rouge", et dont le mouvement en apparence rétrograde à certains moments de l'année ne leur échappa point, Sevek ou Mercure, Vénus enfin qui avait deux noms pour la désigner dans son rôle d'étoile du matin et d'étoile du soir, et Saturne, la plus éloignée des planètes que l'oeil humain puisse apercevoir sans le secours d'instruments.

Agriculteurs, géomètres, astronomes, les égyptiens n'avaient pas moins une confiance aveugle dans l'astrologie. Encore un trait commun avec les Chaldéens. Comme eux ils cultivaient l'art de dresser les horoscopes des nais sances et d'en tirer des augures pour l'existence et la mort des gens qui étaient nés alors que les planètes et les étoiles fixes se trouvaient dans le ciel à telle ou telle position respective.
Les différents jours de l'année étaient marqués d'un caractère favorable ou funeste d'après les influences astrales et aussi d'après les dates attribuées par les légendes à tel ou tel incident des histoires mythologiques.

Au calendrier égyptien se rattache l'ère de Nabonassar, fondateur du royaume des Babyloniens.
Elle a commencé à une date correspondant, selon le calendrier julien, au 26 février 747 avant Jésus-Christ. Les années dont elle se compose sont des années vagues de 365 jours, sans intercalation la quatrième année.
Rien n'est plus important, dans les Tables des anciens astronomes et chronologistes, que cette ère qui, pour porter le nom d'un roi de Babylone, est pourtant basée sur le calendrier égyptien.
Ptolémée est celui qui s'en est le plus servi.
Elle est moins en usage pour les années d'après Jésus-Christ que pour celles d'avant (7).
Tel fut ce fameux calendrier égyptien, issu du calendrier chaldéen, père du calendrier romain de Jules César, et qui contient déjà la charpente astronomique de notre propre calendrier, moins la semaine.

Ce calendrier a été en usage dans toute l'égypte pendant longtemps. Il remonte à une époque très ancienne que Letronne (8) estime être au moins 3 000 ans avant l'ère actuelle et aurait été institué à Memphis alors qu'elle était siège de dynastie.
D'autre part, si les calculs faits par Ed. Meyers (9) sont exacts, un renouvellement de la période sothiaque aurait eu lieu le 20 juillet julien de l'an 139 de notre ère; la période précédente aurait donc commencé en 1321 avant Jésus-Christ; celle d'auparavant en 2781, et une autre période encore plus ancienne remonterait au 19 juillet 4241.
Le calendrier égyptien, dans sa forme de 365 jours ou année vague entraînant le cycle sothiaque de 1461 années, ne remonterait pas plus haut, mais remonterait jusque-là.
Il aurait donc été institué en 4241 avant Jésus-Christ.
Si, encore une fois, cette assignation est exactement calculée, nous possédons, dans l'origine du calendrier égyptien, la plus vieille date certaine de l'histoire de l'humanité.

NOTES :

(I)" L'année de l'Egypte se partage naturellement en trois saisons : quatre mois de semailles et de croissance, qui correspondent approximativement à nos mois de novembre, décembre, janvier et février; quatre mois de récolte, qu'on peut de même indiquer d'une manière vague en les comparant aux mois de notre calendrier qui sont compris entre mars et juin inclusivement, les quatre mois ou lunes de l'innondation complètent le cycle de l'année égyptienne."
Osburn,voyageur anglais, cité par LENORMANT, dans son Histoire de l'Orient,II, p. 22.

(2) LETRONNE, Recherches sur le calendrier des égypticns, dans ses Oeuvres, 2è série, t. II, p. 240 245, 247.

(3) Les anciens astronomes appelaient lever héliague (hélios, soleil), ou lever d'un astre, le moment de l'année où cet astre, après avoir été en conjonction avec le soleil et par conséquent invisible (l'éclat du soleil empêchant de l'apercevoir), redevenait visible à l'orient dans le crépuscule du matin, avant que la lumière du jour ne le fît disparaître.

(4) L'étoile Sopt, en grec Sothis, signifie le Chien; c'est le Sirius de la constellation du Grand Chien, en latin canis, d'où est venu canicule. Les habitants des rives du Nil, ayant remarqué que l'inondation du fleuve correspondait tous les ans à l'apparition d'une très belle étoile qui se montrait à cette époque, dans la direction du sud, vers la source du Nil et semblait avertir les laboureurs de se garder de la surprise des eaus, comparèrent l'action de l'astre à celle de l'animal qui, par son aboiement, avertit d'un danger et ils appelèrent cette étoile l'Aboyeur, le Chien, Sopt ou Soth, Sothis, Sirius.
Aujourd'hui, à cause de la précession des équinoxes, I'étoile Sirius n'avertit plus de l'innondation du Nil, car son lever héliaque a lieu un mois environ plus tard que la crue du fleuve.

(5) LENORMANT, Histoire ancienne de l'Orient, 9è édit., t. III, p 112 à 115.

(6) La semaine chez Ies peuples bibliques, dans "les Etudes" 1895, p 208.

(7) Art de vérifier les dates, XXXIV.

(8) LETRONNE, recherches sur le calendrier des anciens égyptiens, dans ses Oeuvres choisies, éditées par E. Fagnan, 1883, 2è série, t. Il, p 160.

(9) ED. MEYERS, Chronologie égyptienne, 1904, supplément, 1907.